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Problématiques des travaux

C'est dès son année de maîtrise de psychologie qu'Alain Trognon est introduit á la psycho-socio-linguistique par le professeur François Jodelet, spécialiste notoire des associations verbales et qui enseignait á cette époque la psychologie sociale á l'université de Nancy. Alain Trognon ne quittera plus ce domaine dont il parcourra les champs d'exercice (éducation, travail, santé et plus récemment justice) ; en épousant toutes leurs approches (clinique, observationnelle, expérimentale et formalisatrice).

Les premiers travaux du professeur Trognon sont expérimentaux (avec Jean Léon Beauvois, sur les champs sémantiques), méthodologiques (sa thèse de doctorat de 3° cycle est une "critique de l'analyse de contenu") et épistémologiques où se remarquent déjá des intérêts pour la logique, l'épistémologie génétique et la grammaire générative. Au cours des dix années qui s'ensuivent le professeur Trognon, principalement occupé par la rédaction d'une thèse de doctorat es-lettres et sciences humaines, forme parmi d'autres psychologues sociaux français (Marcel Bromberg, Claude Chabrol, Rodolphe Ghiglione, Paul Henry, Michel Pêcheux, Michel Plon, etc.) le projet d'une refondation de la psychologie sociale qui la mettrait au centre de toutes les déclinaisons de la psychologie. Dans ce groupe virtuel, Alain Trognon se distingue par le rôle qu'il attribue á la communication interactive-dialogique dans la constitution et le fonctionnement dynamiques du psychisme. La thèse de doctorat d'état soutenue en 1981 va permettre au professeur Trognon de poser l'assise d'un travail qui va l'occuper jusqu'á présent. Il consiste á décrire aussi finement que le permettent les outils d'analyse (linguistiques, logiques) disponibles des séquences de communication interactive "naturelles" dans le but d'en faire ressortir la structure discursivo-formelle. Ainsi, le second tome de la thèse de doctorat d'état est-il consacré á l'étude de l'"engendrement et du devenir des ambiguïtés dans les situations de groupes" ; où l'on voit que, regardée du point de vue de la parole (i.e. de la psychologie), l'ambiguïté ne constitue pas une scorie ou une imperfection de la langue naturelle, mais que c'est bel et bien une propriété fonctionnelle dont les agents de l'interlocution se saisissent pour parvenir á leurs fins.

Le domaine conceptuel dans lequel le professeur Trognon accomplit ses activités scientifiques devient ainsi donc la pragmatique. La pragmatique est la science de l'usage du langage. Cette science est pluridisciplinaire et concerne la philosophie (la discipline dans laquelle elle est née), la logique, la linguistique, la sociologie, l'intelligence artificielle et bien sûr la psychologie, d'ailleurs dans toutes ses sous disciplines. L'ambition du professeur Trognon est de contribuer á l'introduction de la pragmatique en psychologie, où elle est faiblement représentée et plus exactement, d'une part de montrer en quoi la pragmatique renouvelle un ensemble de questions traditionnelles en psychologie et y apporte des réponses nouvelles et d'autre part, réciproquement, de montrer en quoi les travaux théoriques et empiriques conduits en psychologie renouvellent les théories dominantes en pragmatique.

Ces objectifs s'opérationnalisent par la mise en place et l'exécution de ce que le professeur Trognon appelle un programme de "pragmatique empirique", dont le noyau est l'étude empirique des jeux de langage auxquels nous participons dans notre société, qu'ils soient professionnels (comme une psychothérapie, une activité tutorielle) ou généraux (comme une discussion, un débat, une dispute, une négociation, un marchandage, une explication, etc.), ce qui revient á renouer avec des projets scientifiques qui sont á l'origine de la Psychologie Sociale (Mead, Vygotsky, le «jeune Piaget» etc.). Ces interactions conversationnelles sont décrites dans leurs contextes et dans les effets qu'elles y engendrent. En s'appuyant sur des conversations très diversifiées (conversations á bâtons rompus, discussions en situations de travail (par exemple lors de relèves de postes), débats, etc., le professeur Trognon et ses collaborateurs essaient d'élaborer une théorie formelle de l'engendrement des structures conversationnelles qui soit á même de rendre compte de la production des événements affectivo-socio-cognitifs au sein de la conversation.

Des théories locales sont proposées á la communauté scientifique á partir des années 1990 dans différentes sous-disciplines de la psychologie : psychologie sociale des groupes, psychologie cognitive du raisonnement situé et distribué, psychologie du travail, psychologie du développement et psychologie clinique et pathologique. En psychopathologie de la communication sont proposées des hypothèses relatives á la symptomatologie interlocutoire de certaines psychoses (autisme, schizophrénie, paranoïa) ou de certaines atteintes neurologiques comme le Traumatisme Crânien et la maladie d'Alzeihmer. Par exemple, le symptôme interlocutoire majeur de la schizophrénie (la rupture de l'intersubjectivité ou, selon Bion, l'attaque contre les liens) est modélisé par le débrayage conversationnel. Des formes interlocutoires de structuration des groupes de travail sont identifiées. L'acquisition et la mise en oeuvre de divers raisonnements sont examinés dans des jeux de dialogue que ces événements habitent naturellement, comme le débat politique et spécialement le débat télévisé, la délibération sur le dysfonctionnement d'une machine, etc.

A compter des années 2000, c'est le développement, seul, en collaboration avec d'autres collègues du GRC, et au travers de ses activités de direction de thèses, d'une théorie générale de l'interlocution entendue comme l'ensemble des enchaînements discursifs qui se tissent dans les conversations, qui sera au centre des activités scientifiques du professeur Trognon. Cette théorie, dénommée "Logique Interlocutoire" s'est déployée sur deux plans : un plan théorique et un plan empirique. Sur le plan théorique, c'est l'organisation générale de la Logique Interlocutoire qui retient l'attention. Dans le contexte général des travaux consacrés á l'Analyse des Conversations, il s'est donc agi de définir les principaux éléments d'une interlocution, leur composition et donc les règles qui les gouvernent, enfin les structures qui émergent de l'application de ces règles (ou que ces règles génèrent, comme on génère des phrases en Grammaire Générative) ; afin d'obtenir i) une théorie dynamique, ii) restituant l'expérience que les usagers du langage ont de l'interlocution (par exemple le fait qu'ils sont confrontés non á des éléments isolés mais á des architectures, le fait qu'ils n'usent pas du langage élément par élément (les actes de langage isolés étudiés par la pragmatique "classique") mais au sein de "jeux de langage" parfois figés en transactions ; ce qui appelle une thérie reliant le microscopique au macroscopique), iii) susceptible d'expliquer l'intercompréhension (en accord avec ses propriétés formelles relevées par les logiciens et les linguistes : procéduralité, 'non monotonie', etc.), iv) qui permettent, enfin, d'expliquer comment des relations sociales surviennent de l'interlocution tout en faisant émerger un domaine cognitif, v) domaine cognitif dont la structure logique "émane" de la matière discursive. L'intercompréhension, qui est une condition nécessaire de l'interlocution, est expliquée á partir d'un "module" de gestion conversationnelle du malentendu travaillant á partir de l'intentionnalité des actes de langage. Bref, la logique interlocutoire se présente maintenant comme un système "organisé" de méthodes formelles qui, partant de la surface discursive telle qu'elle est donnée phénoménologiquement, déploie progressivement les structures actionnelles et représentationnelles de l'interlocution. Ce système est aussi suffisamment opérationnel pour donner lieu á un calcul permettant de dériver démonstrativement des événements interlocutoires, ce qui permet de compléter l'explication de quelques résultats classiques obtenus par le courant socio cognitiviste en psychologie.

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